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31 juillet 2012

Catéchèse à l'école de Marie (9)

                                        Commentaire sur La Vraie Dévotion de Montfort (183 - 212)


Introduction

On suppose que le père de Montfort a rédigé la Vraie Dévotion d’un seul jet, alors qu’il se trouvait dans l’ermitage à La Rochelle, en 1712. Malgré le fait qu’il passe facilement d’un genre littéraire à un autre, le but de son œuvre est clair : situer la Vierge Marie dans l’agir de Dieu et, par conséquent, la situer par rapport à nous. Ce qui frappe le lecteur attentif c’est qu’il y trouve 140 citations explicites de la Bible, dont plus de la moitié de l’Ancien Testament, tandis que les allusions, surtout au Nouveau Testament, dépassent les 300. Il est clair que la Bible joue un grand rôle dans la pensée de l’auteur. Il est évident qu’il ne disposait pas des techniques de l’exégèse moderne, mais sa perception est correcte. C’est pourquoi Vatican II n’a pas abandonné sa façon de situer Marie dans l’agir de Dieu, mais l’a enrichie.
Dans le passage que nous abordons, il opte pour un genre littéraire dont les Pères de l’Eglise se sont fréquemment servis : indiquer dans l’Ancien Testament des annonces non seulement de Jésus Christ, mais aussi de la Vierge Marie. Ainsi Montfort cherche et trouve dans un récit du livre de la Genèse (ch. 27) des éléments qui l’aident à décrire, dans un langage populaire, les relations de la Vierge Marie avec nous les baptisés.

À garder à l’esprit

Disciple de l’École Française, Montfort considère l’incarnation de Dieu comme un mystère clef de l’agir de Dieu. À partir de cette donnée centrale il fait la lecture de la Bible, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse : Dieu qui entre dans l’histoire, non pas brusquement, mais moyennant la collaboration libre des hommes. L’incarnation de Jésus est un moment charnière de cet agir de Dieu et la collaboration de Marie y est indissolublement liée. Et Montfort conclut : comme il a agit dans le passé, le Seigneur le fait encore aujourd’hui : il compte sur des collaborateurs libres, les baptisés d’aujourd’hui.

Dans les numéros 184-185, il résume à sa façon le chapitre 27 du livre de la Genèse. Il laisse de côté les ruses et mensonges du récit original et fait ressortir les éléments qui vont l’aider à indiquer les bons soins de Marie à l’égard des ‘prédestinés’. Le genre littéraire dont il se sert le permet. Respectueusement il qualifie l’agir de Rébecca comme « une adresse toute sainte et toute pleine de mystères ». D’une façon populaire il nous aide à nous imaginer le savoir-faire de Marie à l’égard des ‘prédestinés’.

‘Réprouvés’ et ‘prédestinés’

Voilà une terminologie qui choque, mais utilisée fréquemment dans la Bible. Montfort s’en sert généreusement. Nous avons trouvé cette terminologie une première fois dans le numéro 29 de notre écrit, précisément dans le contexte que l’auteur reprend ici.  A cette occasion j’ai référé au deuxième nom que Jacob a reçu, celui d’Israël (cf. Gn 32, 28-29). La Bible se sert tantôt du premier nom, tantôt du deuxième pour indiquer le ‘peuple élu’, une élection non pas dans le sens d’une prédestination qui favorise un groupe au détriment d’un autre, mais d’une élection en vue d’un service à rendre. C’est pourquoi on peut appeler les prédestinés ‘les collaborateurs de Dieu’ ou ‘ses amis’.

Qui sont les réprouvés ? Dans sa lettre Aux Amis de la Croix, Montfort offre une image qui peut nous aider à comprendre le terme. « Vous n’ignorez pas que vous êtes des temples vivants du Saint-Esprit, et que vous devez comme autant de pierres vives, être placées par le Dieu d’amour au bâtiment de la Jérusalem céleste. Attendez-vous donc à être taillées, coupées, ciselées par le marteau de la croix ; autrement vous demeureriez comme des pierres brutes qu’on emploie à rien… » (28). Les ‘réprouvés’ sont les pierres brutes dont le Seigneur ne peut se servir. Il avait compté sur eux, mais ils ne collaborent pas.

Dans le récit de Montfort, Jacob est la personnification des ‘prédestinés’, Ezaü celui des ‘réprouvés’. En tant qu’aîné, Ezaü, est prévu pour la succession patriarcale, mais il a le tempérament inapte : il compte sur ses propres forces et son génie, il est gourmand et vend son droit d’ainesse pour un plat de lentilles; après il est fou furieux et menace son frère jumeaux. Une caractéristique majeure : il ne reste quasi point à la maison et ne fait rien pour sa mère.

Jacob par contre est l’image des ‘prédestinés’, les ‘collaborateurs de Dieu’ : il a les bonnes dispositions pour entrer dans le grand projet du Seigneur. Il demeure ordinairement à la maison à proximité de sa mère, il fait tout ce qu’il croit lui plaire. Il lui est soumis et imite selon sa portée les vertus qu’il voit en sa mère (191-195). A partir de cette lecture, Montfort décrit les ‘collaborateurs de Dieu’ d’aujourd’hui (196-200).

Les bons services de Marie

Montfort écrit : « Voici présentement les devoirs charitables que la Sainte Vierge, comme la meilleure de toutes les mères, rend à ces fidèles serviteurs, qui se sont donnés à elle de la manière que j'ai dite, et selon la figure de Jacob » (201).

La Vierge Marie aime les ‘collaborateurs de Dieu’ parce qu’elle est vraiment leur mère… « Elle ne les aime pas seulement avec affection, mais avec efficacité. Son amour pour eux est actif et effectif, comme celui et plus que celui de Rébecca pour Jacob », et Montfort donne quelques exemples. Comme Rébecca, Marie cherche pour les ‘collaborateurs de Dieu’ les occasions favorables de leur faire du bien, de les agrandir et de les enrichir… Elle gère elle-même leurs intérêts… Elle leur donne de bons conseils, comme Rébecca à Jacob: ‘Mon fils, suis mes conseils et apporte-moi deux chevreaux’ (Montfort interprète : donne-moi tout, corps et âme) car Marie va les apprêter au goût de Dieu… (204-205). Puis elle leur demande de se dépouiller de leurs vieux habits et « les revêt des habits propres, neufs, précieux et parfumés… leur communiquant ses propres habits… en sorte que ses fidèles serviteurs sont doublement vêtus : des habits de son Fils et des siens propres » (206). Ainsi donc elle obtient la bénédiction du Père céleste… qui les bénit, leurs personnes et leurs biens et tous ceux qui les béniront…  (207).

Une belle fantaisie

Vous le constatez, avec beaucoup de fantaisie Montfort se sert du récit de la Genèse pour mettre en valeur l’amour et le savoir-faire de la Vierge Marie : « Le second devoir de charité que la Sainte Vierge exerce envers ses fidèles serviteurs, c'est qu'elle les entretient de tout pour le corps et pour l'âme. Elle leur donne des habits doublés, comme nous venons de le voir; elle leur donne à manger les mets les plus excellents de la table de Dieu; elle leur donne à manger le pain de vie, qu'elle a formé; mes chers enfants, leur dit-elle, remplissez-vous de mes générations, c'est-à-dire de Jésus, le fruit de vie, que j'ai mis au monde pour vous... »  Marie est la trésorière et la dispensatrice des dons et des grâces du Très-Haut. Comme Rébecca a fait pour Jacob, la Vierge Marie conduit les ‘amis de Dieu’ et les aide à marcher dans les voies du Seigneur. (208)

Montfort conclut en reprenant une image dont il s’est déjà servie : Marie est l’Etoile de la Mer : elle montre aux ‘amis de Dieu’ les chemins de la vie éternelle; elle leur fait éviter les pas dangereux; elle les conduit par la main dans les sentiers de la justice; elle les soutient quand ils sont prêts de tomber; elle les relève quand ils sont tombés; elle les reprend, en mère charitable, quand ils manquent; et quelquefois même, elle les châtie amoureusement. Un enfant obéissant à Marie, sa mère nourrice et sa directrice éclairée, peut-il s'égarer dans les chemins de l'éternité? (209).

Marie, protectrice

Référant aux menaces dont souffre Jacob, Montfort écrit : « Marie, la bonne Mère des prédestinés, les cache sous les ailes de sa protection, comme une poule ses poussins; elle parle, elle s'abaisse à eux, elle condescend à toutes leurs faiblesses; elle se met autour d'eux et les accompagne comme une armée rangée en bataille… » (210).

Il observe une dernière fois Rébecca et y reconnaît les traits de la Vierge Marie : « Rébecca fit approcher Jacob du lit de son père; et le bon homme le toucha, l'embrassa, et le baisa même avec joie, étant content et rassasié des viandes bien apprêtées qu'il lui avait apportées; et ayant senti avec beaucoup de contentement les parfums exquis de ses vêtements, il s'écria : Voici l'odeur de mon fils, qui est comme l'odeur d'un champ plein, que le Seigneur a béni. Ce champ plein, dont l'odeur charma le cœur du père, n'est autre que l'odeur des vertus et des mérites de Marie, qui est un champ plein de grâce, où Dieu le Père a semé, comme un grain de froment des élus, son Fils unique » (211).

Montfort termine sa méditation allégorique en disant que la Vierge Marie veille toujours, de peur que les ‘amis de Dieu’ ne perdent la grâce divine et ne tombent dans les pièges de leurs ennemis et qu’elle les aide à persévérer (212).

Frans Fabry

VD 183 - 212

Nous lisons ci-dessous les numéros 183 - 212 dans 'La Vraie Dévotion':


FIGURE BIBLIQUE DE CETTE PARFAITE DEVOTION: REBECCA ET JACOB

183. De toutes les vérités que je viens de décrire par rapport à la Très Sainte Vierge et à ses enfants et serviteurs, le Saint-Esprit nous donne, dans l'Ecriture Sainte, une figure admirable dans l'histoire de Jacob, qui reçut la bénédiction de son père Isaac par les soins et l'industrie de Rébecca sa mère.
La voici comme le Saint-Esprit la rapporte. Ensuite j'y ajouterai son explication.

Histoire de Jacob raconté par Montfort

184. Esaü ayant vendu à Jacob son droit d'aînesse, Rébecca, mère des deux frères, qui aimait tendrement Jacob, lui assura cet avantage, plusieurs années après, par une adresse toute sainte et toute pleine de mystères. Car Isaac, se sentant fort vieux et voulant bénir ses enfants avant de mourir, appela son fils Esaü qu'il aimait, lui commanda d'aller à la chasse pour avoir de quoi manger, afin qu'il le benît ensuite. Rébecca avertit promptement Jacob de ce qui se passait et lui commanda d'aller prendre deux chevreaux dans le troupeau. Lorsqu'il les eut donné à sa mère, elle en prépara à Isaac, ce qu'elle savait qu'il aimait; elle revêtit Jacob des habits d'Esaü, qu'elle gardait, et couvrit ses mains et son cou de la peau des chevreaux, a fin que son père, qui ne voyait plus, pût, en entendant la parole de Jacob, croire au moins, par le poil de ses mains, que c'était Esaü son frère. Isaac, en effet, ayant été surpris de sa voix, qu'il croyait être la voix de Jacob, le fit approcher de lui, et ayant touché le poil des peaux dont il s'était couvert les mains, il dit que la voix, à la vérité, était la voix de Jacob, mais que les mains étaient les mains d'Esaü. Après qu'il eut mangé et qu'il eut s enti, en baisant Jacob, l'odeur de ses habits parfunés, il le bénit et lui souhaita la rosée du ciel et la fécondité de la terre; il l'établit le maître de tous ses frères, et finit sa bénédiction par ces paroles: "Que celui qui vous maudira soit maudit lui-même, et que celui qui vous bénira soit comblé de bénédictions".
A peine Isaac avait achevé ces paroles qu'Esaü entre et apporte à manger ce qu'il avait pris à la chasse, afin que son père le bénît ensuite. Ce saint patriarche fut surpris d'un étonnement incroyable lorsqu'il reconnut ce qui venait de se passer; mais bien loin de rétracter ce qu'il avait fait, il le confirma, au contraire, parce qu'il voyait trop sensiblement le doigt de Dieu en cette conduite. Esaü alors jeta des rugissements, comme marque l'Ecriture Sainte, et, accusant hautement la tromperie de don frère, il demanda à son père s'il n'avait qu'une seule bénédiction: étant en ce point, comme le remarquent les saint Pères, l'image de ceux qui, étant bien aises d'allier Dieu avec le monde, veulent jouir tout ensemble des consolations du ciel et de celles de la terre. Isaac, touché des cris d'Esaü, le bénit enfin, mais d'une bénédiction de la terre, et en l'assujetissant à son frère: ce qui lui fit concevoir une haine si envenimée contre Jacob, qu'il n'attendait plus que la mort de son père pour le tuer et Jacob n'aurait pu éviter la mort si sa chère mère Rébecca ne l'en eût garanti par ses industries et les bons conseils qu'elle lui donna et qu'il suivit.

Interprétation de l'histoire de Jacob

185. Auparavant d'expliquer cette histoire, qui est si belle, il faut remarquer que, selon tous les saints Pères et les interprètes de l'Ecriture Sainte, Jacob est la figure de Jésus-Christ et des prédestinés, et Esaü celle des réprouvés. Il ne faut qu'examiner les actions et la conduite de l'un et de l'autre pour en juger.
1º Esaü, l'aîné, était fort et robuste de corps et industrieux à tirer de l'arc et à prendre beaucoup de gibier à la chasse.
2º Il ne restait quasi point à la maison, et, ne mettant sa confiance qu'en sa force et son adresse, il ne travaillait qu'au dehors.
3º Il ne se mettait pas beaucoup en peine de plaire à sa mère Rébecca, et il ne faisait rien pour cela.
4º Il était si gourmand, et aimait tant sa bouche, qu'il vendit son droit d'aînesse pour un plat de lentilles.
5º Il était, comme Caïn, plein d'envie contre son frère Jacob et il le persécutait à outrance.

186. Voilà la conduite que gardent les réprouvés tous les jours.
1º Ils se fient en leur force et leurs industries pour les affaires temporelles; ils sont très forts, très habiles et très éclairés pour les choses de la terre, mais très faibles et très ignorants dans les choses du ciel: In terrenis fortes, in coelestibus debiles. C'est pourquoi:

187. 2º Ils ne demeurent point ou très peu chez eux, dans leur maison propre, c'est-à-dire dans leur intérieur, qui est la maison intérieure et essentielle que Dieu a donné à chaque homme pour y demeurer à son exemple...

188. 3º Les réprouvés ne se soucient guère de la dévotion à la Sainte Vierge, la Mère des prédestinés; il est vrai qu'ils ne la haïssent pas formellement, ils lui donnent quelquefois des louanges, ils disent qu'ils l'aiment et ils pratiquent même quelque dévotion en son honneur; mais, au reste, ils ne sauraient souffrir qu'on l'aime tendrement, parce qu'ils n'ont point pour elle les tendresses de Jacob...

189. 4º Les réprouvés vendent leur droit d'aînesse, c'est-à- dire les plaisirs du paradis pour un plat de lentilles, c'est- à-dire pour les plaisirs de la terre...

190. 5º Enfin, les réprouvés haïssent et persécutent tous les jours les prédestinés, ouvertement ou secrètement; ils les méprisent, ils les critiquent, ils les contrefont, ils les injurient, ils les volent, ils les trompent, ils les appauvrissent, ils les chassent, ils les réduisent dans la poussière; tandis qu'ils font fortune, qu'ils prennent leurs plaisirs, qu'ils sont en belle passe, qu'ils s'enrichissent, qu'ils s'agrandissent et vivent à leur aise.

191. 1º Jacob, le cadet, était d'une faible complexion, doux et paisible, et demeurait ordinairement à la maison pour gagner les bonnes grâces de sa mère Rébecca, qu'il aimait tendrement...

192. 2º Il aimait et honorait sa mère: c'est pourquoi il se tenait à la maison auprès d'elle; il n'était pas plus content que lorsqu'il la voyait; il évitait tout ce qui pouvait lui déplaire: ce qui augmentait en Rébecca l'amour qu'elle lui portait.

193. 3º Il était soumis en toutes choses à sa chère mère, il lui obéissait entièrement en toutes choses, promptement sans tarder, et amoureusement sans se plaindre...

194. 4º Il avait une grande confiance en sa chère mère; comme il ne s'appuyait point du tout sur son savoir-faire, il s'appuyait uniquement sur les soins et la protection de sa mère; il la réclamait en tous ses besoins, et il la consultait en tous ses doutes...

195. 5º Enfin, il imitait selon sa portée les vertus qu'il voyait en sa mère; et il semble qu'une des raisons pourquoi il demeurait sédentaire à la maison, c'était pour imiter sa chère mère, qui était si vertueuse, et pour s'éloigner des mauvaises compagnies, qui corrompent les moeurs. Par ce moyen, il se rendit digne de recevoir la double bénédiction de son père.

196. Voilà aussi la conduite que gardent tous les jours les prédestinés:
1º Ils sont sédentaires à la maison avec leur mère, c'est-à-dire, ils aiment la retraite, ils sont intérieurs, ils s'appliquent à l'oraison, mais à l'exemple et dans la compagnie de leur Mère, la Sainte Vierge, dont toute la gloire est au-dedans, et qui, pendant toute sa vie, a aimé la retraite et l'oraison. Il est vrai qu'ils paraissent quelquefois au dehors dans le monde; mais c'est par obéissance à la volonté de Dieu et à celle de leur chère Mère, pour remplir les devoirs de leur état. Quelques grandes choses en apparence qu'ils fassent au dehors, ils estiment encore beaucoup plus celles qu'ils font au dedans d'eux-mêmes, dans leur intérieur, en compagnie de la Très Sainte Vierge, parce qu'ils y font le grand ouvrage de leur perfection, auprès duquel tous les autres ouvrages ne sont que des jeux d'enfants. 
Seigneur Jésus, que vos tabernacles sont aimables! Le passereau a trouvé une maison pour se loger et la tourterelle un nid pour mettre ses petits. Oh! qu'heureux est l'homme qui demeure dans la maison de Marie, où vous avez le premier fait votre demeure! C'est en cette maison des prédestinés qu'il reçoit son secours de vous seul, et qu'il a disposé des montées et des degrés de toutes les vertus dans son coeur, pour s'élever à la perfection dans cette vallée de larmes! Quam dilecta tabernacula, etc.

197. 2º Ils aiment tendrement et honorent véritablement la Très Sainte Vierge comme leur bonne Mère et Maîtresse. Ils l'aiment non seulement de bouche, mais en vérité; ils l'honorent non seulement à l'extérieur, mais dans le fond du coeur...

198. 3º Ils sont soumis et obéissants à la Sainte Vierge, comme à leur bonne Mère à l'exemple de Jésus-Christ, qui, de trente et trois ans qu'il a vécu sur la terre, en a employé trente à glorifier Dieu son Père, par une parfaite et entière soumission à sa sainte Mère. Ils lui obéissent en suivant exactement ses conseils, comme le petit Jacob ceux de Rébecca, à qui elle dit: Acquiesce consiliis meis. Mon fils suivez mes conseils; ou comme les conviés des noces de Cana, auxquels la Sainte Vierge dit: Quodcumque dixerit vobis facite: Faites tout ce que mon Fils vous dira. Jacob, pour avoir obéi à sa mère, reçut la bénédiction comme par miracle, quoique naturellement il ne dût pas l'avoir; les conviés aux noces de Cana, pour avoir suivi le conseil de la Sainte Vierge, furent honorés du premier miracle de Jésus-Christ, qui y convertit l'eau en vin, à la prière de sa sainte Mère. De même, tous ceux qui, jusqu'à la fin des siècles, recevront la bénédiction du Père céleste et seront honorés des merveilles de Dieu, ne recevront ces grâces qu'en conséquence de leur parfaite obéisssance à Marie. Les Esaü, au contraire, perdent leur bénédiction, faute de soumission à la Sainte Vierge.

199. 4º Ils ont une grande confiance dans la bonté et la puissance de la Très Sainte Vierge, leur bonne Mère; ils réclament sans cesse son secours; ils la regardent comme leur étoile polaire, pour arriver à bon port; ils lui découvrent leurs peines et leurs besoins avec beaucoup d'ouverture de coeur...

200. 5º Enfin, les prédestinés gardent les voies de la Sainte Vierge, leur bonne Mère, c'est-à-dire: ils l'imitent, et c'est en cela qu'ils sont vraiment heureux et dévots, et qu'ils portent la marque infaillible de leur prédestination, comme leur dit cette bonne Mère: Beati qui custodiunt vias meas: c'est-à-dire, bienheureux ceux qui pratiquent mes vertus et qui marchent sur les traces de ma vie, avec le secours de la divine grâce. 
O Sainte Vierge, ma bonne Mère, qu'heureux sont ceux, je le répète avec les transports de mon coeur, qu'heureux sont ceux et celles qui, ne se laissant point séduire par une fausse dévotion envers vous, gardent fidèlement vos voies, vos conseils et vos ordres! Mais que malheureux et maudits sont ceux qui, abusant de votre dévotion, ne gardent pas les commandements de votre Fils: Maledicti omnes qui declinant a mandatis tuis.

Devoirs charitables que la Saine Vierge rend à ses fidèles serviteurs

201. Voici présentement les devoirs charitables que la Sainte Vierge, comme la meilleure de toutes les mères, rend à ces fidèles serviteurs, qui se sont donnés à elle de la manière que j'ai dit, et selon la figure de Jacob.
1. Elle les aime. Ego diligentes me diligo: J'aime ceux qui m'aiment. Elle
les aime: 1. parce qu'elle est leur Mère véritable: or, une mère aime toujours son enfant, le fruit de ses entrailles; 2. elle les aime par reconnaissance, parce qu'effectivement ils l'aiment comme leur bonne Mère; 3. elle les aime parce qu'étant prédestinés, Dieu les aime: Jacob dilexi, Esau autem odio habui, 4. elle les aime parce qu'ils se sont tout consacrés à elle, et qu'ils sont sa portion et son héritage: In Israel haereditare.

202. Elle les aime tendrement, et plus tendrement que toutes les mères ensemble... 
Elle ne les aime pas seulement avec affection, mais avec efficace...

203. 1º Elle épie, comme Rébecca, les occasions favorables de leur faire du bien...

204. 2º Elle leur donne de bons conseils, comme Rébecca à Jacob: Fili mio, acquiesce consiliis meis: Mon fils, suis mes conseils...

205. 3º Quand on lui a apporté et consacré son corps et son âme et tout ce qui en dépend, sans rien excepter, que fait cette bonne Mère? Ce que fit autrefois Rébecca aux deux chevreaux que lui apporta Jacob...

206. 4º Cette bonne Mère, ayant reçu l'offrande parfaite que nous lui avons faite de nous-mêmes et de nos propres mérites et satisfactions, par la dévotion dont j'ai parlé, et nous ayant dépouillés de nos vieux habits, elle nous approprie et nous rend dignes de paraître devant notre Père céleste... 

207. 5º Elle leur fait enfin obtenir la bénédiction du Père céleste, quoique, n'étant que les puînés et les enfants adoptifs, ils ne dussent pas naturellement l'avoir...

208. Le second devoir de charité que la Sainte Vierge exerce envers ses fidèles serviteurs, c'est qu'elle les entretient de tout pour le corps et pour l'âme. Elle leur donne des habits doublés, comme nous venons de voir; elle leur donne à manger les mets les plus excellents de la table de Dieu; elle leur donne à manger le pain de vie, qu'elle a formé; A generationibus meis implemini: mes chers enfants, leur dit- elle, sous le nom de la Sagesse, remplissez-vous de mes générations, c'est-à-dire de Jésus, le fruit de vie, que j'ai mis au monde pour vous. 

209. Le troisième bien que la Sainte Vierge fait à ses fidèles serviteurs, c'est qu'elle les conduit et dirige selon la volonté de son Fils. Rébecca conduisait son petit Jacob et lui donnait de temps en temps de bons avis, soit pour attirer sur lui la bénédiction de son père, soit pour éviter la haine et la persécution de son frère Esaü. Marie, qui est l'étoile de la mer, conduit tous ses fidèles serviteurs à bon port; elle leur montre les chemins de la vie éternelle; elle leur fait éviter les pas dangereux; elle les conduit par la main dans les sentiers de la justice; elle les soutient quand ils sont prêts de tomber; elle les relève quand ils sont tombés; elle les reprend, en mère charitable, quand ils manquent; et quelquefois même, elle les châtie amoureusement. Un enfant obéissant à Marie, sa mère nourrice et sa directrice éclairée, peut-il s'égarer dans les chemins de l'éternité? Ipsam sequens, non devias. En la suivant, dit saint Bernard, vous ne vous égarez point. Ne craignez pas qu'un véritable enfant de Marie soit trompé par le malin et tombe en quelque hérésie formelle. Là où est la conduite de Marie, là ni le malin esprit avec ses illusions, ni les hérétiques avec leurs finesses ne se trouvent: Ipsa tenente, non corruis.

210. Le quatrième bon office que la Sainte Vierge rend à ses enfants et fidèles serviteurs, c'est qu'elle les défend et protège contre leurs ennemis. Marie, la bonne Mère des prédestinés, les cache sous les ailes de sa protection, comme une poule ses poussins; elle parle, elle s'abaisse à eux, elle condescend à toutes leurs faiblesses; elle se met autour d'eux et les accompagne comme une armée rangée en bataille...

211. Enfin, le cinquième et le plus grand bien que l'aimable Marie procure à ses fidèles dévots, c'est qu'elle intercède pour eux auprès de son Fils.
Rébecca fit approcher Jacob du lit de son père; et le bon homme le toucha, l'embrassa, et le baisa même avec joie, étant content et rassasié des viandes bien apprêtées qu'il lui avait apportées; et ayant senti avec beaucoup de contentement les parfums exquis de ses vêtements, il s'écria: Ecce odor filii mei sicut odor agri pleni, cui benedixit Dominus: Voici l'odeur de mon fils, qui est comme l'odeur d'un champ plein, que le Seigneur a béni. Ce champ plein, dont l'odeur charma le coeur du père, n'est autre que l'odeur des vertus et des mérites de Marie, qui est un champ plein de grâce, où Dieu le Père a semé, come un grain de froment des élus, son Fils unique.
Oh! qu'un enfant parfumé de la bonne odeur de Marie est bienvenu auprès de Jésus-Christ, qui est le Père du siècle à venir! Oh! qu'il lui est promptement et parfaitement uni! Nous l'avons montré plus au long ci-devant. [152-168]

212. De plus, après qu'elle a comblé ses enfants et ses fidèles serviteurs de ses faveurs, qu'elle leur a obtenu la bénédiction du Père céleste et l'union avec Jésus-Christ, elle les conserve en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en eux; elle les garde et elle les veille toujours, de peur qu'ils ne perdent la grâce de Dieu et ne tombent dans les pièges de leurs ennemis: In plenitudine sanctos detinet: Elle retient les saints dans leur plénitude, et les y fait persévérer jusqu'à la fin, comme nous avons vu. [173-182]
Voilà l'explication de cette grande et ancienne figure de la prédestination et réprobation, si inconnue et si pleine de mystères.