Commentaire sur La Vraie Dévotion de Montfort (183 - 212)
Introduction
On suppose que le père de
Montfort a rédigé la Vraie Dévotion d’un seul jet, alors qu’il se trouvait dans
l’ermitage à La Rochelle, en 1712. Malgré le fait qu’il passe facilement d’un
genre littéraire à un autre, le but de son œuvre est clair : situer la
Vierge Marie dans l’agir de Dieu et, par conséquent, la situer par rapport à
nous. Ce qui frappe le lecteur attentif c’est qu’il y trouve 140 citations
explicites de la Bible, dont plus de la moitié de l’Ancien Testament, tandis
que les allusions, surtout au Nouveau Testament, dépassent les 300. Il est
clair que la Bible joue un grand rôle dans la pensée de l’auteur. Il est
évident qu’il ne disposait pas des techniques de l’exégèse moderne, mais sa
perception est correcte. C’est pourquoi Vatican II n’a pas abandonné sa façon
de situer Marie dans l’agir de Dieu, mais l’a enrichie.
Dans le passage que nous
abordons, il opte pour un genre littéraire dont les Pères de l’Eglise se sont
fréquemment servis : indiquer dans l’Ancien Testament des annonces non
seulement de Jésus Christ, mais aussi de la Vierge Marie. Ainsi Montfort
cherche et trouve dans un récit du livre de la Genèse (ch. 27) des éléments qui
l’aident à décrire, dans un langage populaire, les relations de la Vierge Marie
avec nous les baptisés.
À garder à l’esprit
Disciple de l’École Française, Montfort considère l’incarnation de Dieu
comme un mystère clef de l’agir de Dieu. À partir de cette donnée centrale il
fait la lecture de la Bible, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse : Dieu
qui entre dans l’histoire, non pas brusquement, mais moyennant la collaboration
libre des hommes. L’incarnation de Jésus est un moment charnière de cet agir de
Dieu et la collaboration de Marie y est indissolublement liée. Et Montfort
conclut : comme il a agit dans le passé, le Seigneur le fait encore
aujourd’hui : il compte sur des collaborateurs libres, les baptisés
d’aujourd’hui.
Dans les numéros 184-185, il résume à sa façon le chapitre 27 du livre de
la Genèse. Il laisse de côté les ruses et mensonges du récit original et fait
ressortir les éléments qui vont l’aider à indiquer les bons soins de Marie à
l’égard des ‘prédestinés’. Le genre littéraire dont il se sert le permet.
Respectueusement il qualifie l’agir de Rébecca comme « une adresse toute
sainte et toute pleine de mystères ». D’une façon populaire il nous aide à
nous imaginer le savoir-faire de Marie à l’égard des ‘prédestinés’.
‘Réprouvés’ et ‘prédestinés’
Voilà une terminologie qui choque, mais utilisée fréquemment dans la Bible.
Montfort s’en sert généreusement. Nous avons trouvé cette terminologie une
première fois dans le numéro 29 de notre écrit, précisément dans le contexte
que l’auteur reprend ici. A cette
occasion j’ai référé au deuxième nom que Jacob a reçu, celui d’Israël (cf. Gn
32, 28-29). La Bible se sert tantôt du premier nom, tantôt du deuxième pour
indiquer le ‘peuple élu’, une élection non pas dans le sens d’une
prédestination qui favorise un groupe au détriment d’un autre, mais d’une
élection en vue d’un service à rendre. C’est pourquoi on peut appeler les
prédestinés ‘les collaborateurs de Dieu’ ou ‘ses amis’.
Qui sont les réprouvés ? Dans sa lettre Aux Amis de la Croix, Montfort
offre une image qui peut nous aider à comprendre le terme. « Vous
n’ignorez pas que vous êtes des temples vivants du Saint-Esprit, et que vous
devez comme autant de pierres vives, être placées par le Dieu d’amour au
bâtiment de la Jérusalem céleste. Attendez-vous donc à être taillées, coupées,
ciselées par le marteau de la croix ; autrement vous demeureriez comme des
pierres brutes qu’on emploie à rien… » (28). Les ‘réprouvés’ sont les
pierres brutes dont le Seigneur ne peut se servir. Il avait compté sur eux,
mais ils ne collaborent pas.
Dans le récit de Montfort, Jacob est la personnification des ‘prédestinés’,
Ezaü celui des ‘réprouvés’. En tant qu’aîné, Ezaü, est prévu pour la succession
patriarcale, mais il a le tempérament inapte : il compte sur ses propres
forces et son génie, il est gourmand et vend son droit d’ainesse pour un plat
de lentilles; après il est fou furieux et menace son frère jumeaux. Une
caractéristique majeure : il ne reste quasi point à la maison et ne fait
rien pour sa mère.
Jacob par contre est l’image des ‘prédestinés’, les ‘collaborateurs de
Dieu’ : il a les bonnes dispositions pour entrer dans le grand projet du
Seigneur. Il demeure ordinairement à la maison à proximité de sa mère, il fait
tout ce qu’il croit lui plaire. Il lui est soumis et imite selon sa portée les
vertus qu’il voit en sa mère (191-195). A partir de cette lecture, Montfort
décrit les ‘collaborateurs de Dieu’ d’aujourd’hui (196-200).
Les bons services de Marie
Montfort écrit : « Voici présentement les devoirs charitables que
la Sainte Vierge, comme la meilleure de toutes les mères, rend à ces fidèles
serviteurs, qui se sont donnés à elle de la manière que j'ai dite, et selon la
figure de Jacob » (201).
La Vierge Marie aime les ‘collaborateurs de Dieu’ parce qu’elle est
vraiment leur mère… « Elle ne les aime pas seulement avec affection, mais
avec efficacité. Son amour pour eux est actif et effectif, comme celui et plus
que celui de Rébecca pour Jacob », et Montfort donne quelques exemples.
Comme Rébecca, Marie cherche pour les ‘collaborateurs de Dieu’ les occasions
favorables de leur faire du bien, de les agrandir et de les enrichir… Elle gère
elle-même leurs intérêts… Elle leur donne de bons conseils, comme Rébecca à
Jacob: ‘Mon fils, suis mes conseils et apporte-moi deux chevreaux’ (Montfort
interprète : donne-moi tout, corps et âme) car Marie va les apprêter au
goût de Dieu… (204-205). Puis elle leur demande de se dépouiller de leurs vieux
habits et « les revêt des habits propres, neufs, précieux et parfumés…
leur communiquant ses propres habits… en sorte que ses fidèles serviteurs sont
doublement vêtus : des habits de son Fils et des siens propres »
(206). Ainsi donc elle obtient la bénédiction du Père céleste… qui les bénit,
leurs personnes et leurs biens et tous ceux qui les béniront… (207).
Une belle fantaisie
Vous le constatez, avec beaucoup de fantaisie Montfort se sert du récit de
la Genèse pour mettre en valeur l’amour et le savoir-faire de la Vierge
Marie : « Le second devoir de charité que la Sainte Vierge exerce
envers ses fidèles serviteurs, c'est qu'elle les entretient de tout pour le
corps et pour l'âme. Elle leur donne des habits doublés, comme nous venons de
le voir; elle leur donne à manger les mets les plus excellents de la table de
Dieu; elle leur donne à manger le pain de vie, qu'elle a formé; mes chers
enfants, leur dit-elle, remplissez-vous de mes générations, c'est-à-dire de
Jésus, le fruit de vie, que j'ai mis au monde pour vous... » Marie est la trésorière et la dispensatrice
des dons et des grâces du Très-Haut. Comme Rébecca a fait pour Jacob, la Vierge
Marie conduit les ‘amis de Dieu’ et les aide à marcher dans les voies du
Seigneur. (208)
Montfort conclut en reprenant une image dont il s’est déjà servie :
Marie est l’Etoile de la Mer : elle montre aux ‘amis de Dieu’ les chemins
de la vie éternelle; elle leur fait éviter les pas dangereux; elle les conduit
par la main dans les sentiers de la justice; elle les soutient quand ils sont
prêts de tomber; elle les relève quand ils sont tombés; elle les reprend, en
mère charitable, quand ils manquent; et quelquefois même, elle les châtie
amoureusement. Un enfant obéissant à Marie, sa mère nourrice et sa directrice
éclairée, peut-il s'égarer dans les chemins de l'éternité? (209).
Marie, protectrice
Référant aux menaces dont souffre Jacob, Montfort écrit :
« Marie, la bonne Mère des prédestinés, les cache sous les ailes de sa
protection, comme une poule ses poussins; elle parle, elle s'abaisse à eux,
elle condescend à toutes leurs faiblesses; elle se met autour d'eux et les accompagne
comme une armée rangée en bataille… » (210).
Il observe une dernière fois Rébecca et y reconnaît les traits de la Vierge
Marie : « Rébecca fit approcher Jacob du lit de son père; et le bon
homme le toucha, l'embrassa, et le baisa même avec joie, étant content et
rassasié des viandes bien apprêtées qu'il lui avait apportées; et ayant senti
avec beaucoup de contentement les parfums exquis de ses vêtements, il
s'écria : Voici l'odeur de mon fils, qui est comme l'odeur d'un champ
plein, que le Seigneur a béni. Ce champ plein, dont l'odeur charma le cœur du
père, n'est autre que l'odeur des vertus et des mérites de Marie, qui est un
champ plein de grâce, où Dieu le Père a semé, comme un grain de froment des
élus, son Fils unique » (211).
Montfort termine sa méditation allégorique en disant que la Vierge Marie
veille toujours, de peur que les ‘amis de Dieu’ ne perdent la grâce divine et
ne tombent dans les pièges de leurs ennemis et qu’elle les aide à persévérer
(212).
Frans Fabry