![]() |
Georges Madore, smm |
Être brasier d’amour
là où tu es
Voici le texte de la conférence de Georges Madore, smm,
faite samedi le 10/8/2013
pendant la Rencontre Internationale à Saint-Laurent-sur-Sèvre.
faite samedi le 10/8/2013
pendant la Rencontre Internationale à Saint-Laurent-sur-Sèvre.
Dans son beau livre intitulé «Où cours-tu? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi?», Christiane Singer écrit:
Dans notre univers contemporain et
carcéral, voué entier au mercantilisme et à l’insignifiance, ce qu’il s’agit à
tout prix (vraiment à tout prix) d’éviter, c’est la profondeur et l’intensité.
Tout est mis en place, construit, inventé, dressé, produit, distribué pour
détourner de l’amour et servir de rempart à son rayonnement incendiaire.
Ce n’est pas, bien sûr, l’amour qui
s’en trouve menacé. Ce qui est menacé, c’est notre faculté d’aimer. (...) Notre société ne parviendra pas plus à
extirper l’amour de la Création qu’à éteindre la Voie lactée, mais elle
réussira bel et bien à s’extirper elle-même. Ce qui est menacé, c’est notre
participation au concert, non le concert. (...) En réduisant le champ
vibratoire de l’amour dans nos vies, c’est nous-mêmes que nous expulsons hors
du domaine des Vivants.
(pages
49-50)
I. AUX RACINES DE L’AMOUR
Nous,
humains du 21ème siècle sommes toujours tentés de commencer par l’action car
souvent nous n’estimons que l’action. Pour nous, aimer, c’est d’abord, et
parfois exclusivement agir. Nous oublions alors que l’action est un fruit qui
ressemblera à l’arbre qui le porte. «On ne peut cueillir de bons fruits sur un
mauvais arbre» dit Jésus.. Il nous faut aller aux racines même de l’agir qui
feront que cet agir sera fruit de l’amour ou fruit de l’indifférence ou de
l’égoïsme.
Les yeux, le cœur, les
mains et les pieds
En
poursuivant la comparaison de l’arbre, on pourrait dire que les racines
profondes de l’amour sont les yeux ou le regard, que ses branches et sa sève
sont l’émotion – ce qui émeut, ou met en mouvement- et enfin le fruit en est
l’action.
C’est
exactement ce mouvement que l’on voit dans l’Évangile. Ainsi, dans saint Luc,
en voyant la veuve qui va enterrer son fils unique, Jésus voit, puis est
bouleversé, puis il agit (Luc 7, 11-13)
“11 Et il advint ensuite qu’il se rendit dans une
ville appelée Naïn. Ses disciples et une foule nombreuse faisaient route avec
lui. 12 Quand il fut près de la porte de
la ville, voilà qu’on portait en terre un mort, un fils unique dont la mère
était veuve; et il y avait avec elle une foule considérable de la ville.
13 En la voyant, le Seigneur fut
saisi de pitié pour elle et lui dit: "Ne pleure pas." 14 Puis, s’approchant, il toucha le
cercueil, et les porteurs s’arrêtèrent. Et il dit: "Jeune homme, je te
le dis, lève-toi." 15 Et le mort se
dressa sur son séant et se mit à parler. Et il le remit à sa mère.” (Luc
7:11-15 JER)
De même, Marc raconte:
“32 Les disciples et Jésus partirent
donc dans la barque vers un lieu désert, à l’écart. 33 Les voyant s’éloigner, beaucoup comprirent,
et de toutes les villes on accourut là-bas, à pied, et on les devança. 34 En débarquant, il vit une foule nombreuse
et il
en eut pitié, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de
berger, et il se mit à les enseigner longuement. 35 L’heure étant déjà très avancée, ses
disciples s’approchèrent et lui dirent: "L’endroit est désert et l’heure
est déjà très avancée; 36 renvoie-les
afin qu’ils aillent dans les fermes et les villages d’alentour s’acheter de
quoi manger." 37 Il leur répondit:
"Donnez-leur vous-mêmes à manger." Ils lui disent: "Faudra-t-il
que nous allions acheter des pains pour deux cents deniers, afin de leur donner
à manger?"” (Marc 6:32-37 JER)
Voyons donc ces trois mouvements de l’amour:
voir, être ému, agir, ou pour référer à notre corps par lequel s’exprime
l’amour: les yeux, le cœur, puis les mains et les pieds.
1. Les yeux. Il faut d’abord changer
notre regard sur l’autre. Il faut convertir notre regard si l’on veut que nos
gestes aussi soient convertis. Convertir son regard, c’est entrer dans le
regard que le Christ portait sur les autres. Le Christ voyait dans les autres
non pas des riches ou des pauvres, des pécheurs ou des riches, des vieux ou des
jeunes. Il voyait dans les autres des enfants de Dieu, mais des enfants souvent
égarés ou blessés. La femme adultère n’est pas une pécheresse qu’il faut
éliminer, mais une pauvre brebis qui a cherché la vie et le bonheur du mauvais
côté. Zachée n’est pas un mauvais riche à mépriser, mais un homme blessé qui
cherche sa guérison en accumulant les biens et en prouvant son pouvoir. Donc,
la première question à me poser si je veux aimer n’est pas «qu’est-ce que je
vais faire», mais «comment est-ce que je vois l’autre et les autres»
2. Le cœur Dans les deux récits que
nous avons vu plus haut, les évangélistes soulignent que le Christ est ému,
saisi. Le verbe employé «splanknisômaï»
vient du mot splankna: entrailles.
C’est une émotion très intense qui engage tout l’être. Luc emploiera le même
verbe pour décrire ce qui se passe dans deux personnages de parabole: le bon
samaritain est ému, bouleversé, en voyant l’état de l’homme à demi-mort sur le
chemin de Jéricho. Le père du jeune fils est bouleversé en voyant son fils
revenir à la maison.
Être
ému, bouleversé, c’est se laisser atteindre par l’autre au plus intime de
soi-même. Ainsi, le Christ se laisse rejoindre et toucher par la veuve de Naïn,
et ensuite, il touche le cercueil de son fils.
3. Les mains et les pieds Une fois que
le regard de Jésus s’est posé sur l’autre à travers mon propre regard, une fois
que j’ai laissé l’autre m’atteindre, que l’émotion a mis mon être en mouvement,
l’a mobilsé, alors, l’action germe tout naturellement. Je sentirai en moi une
nécessité d’agir. Le regard et l’émotion porteront fruit dans l’action. Quelle
action? Prenons comme exemple la parabole du bon samaritain. Contrairement au
prêtre et au lévite, le samaritain sait voir à la manière de Dieu. Il sait être
ému à la manière de Dieu. Et enfin, je dirais, il agit... à la manière humaine,
c’est-à-dire avec ce qu’il a: de l’huile et du vin! Il faut toujours savoir
agir avec ce qu’on est et ce qu’on a. Si j’attend d’être un docteur en
sociologie ou en psychologie, ou d’avoir amassé une fortune permettant
d’établir une ONG, je n’agirai jamais. J’agis avec ce que je suis (Exemple du
Père Guindon sur le pont...)
Je cite ici encore Christiane Singer:
Chaque geste que tu fais peut
t’ouvrir ou te fermer une porte. Chaque mot que bredouille un inconnu peut être
un message à toi adressé. À chaque instant, la porte peut s’ouvrir sur ton
destin et par les yeux de n’importe quel mendiant, il peut se faire que le ciel
te regarde. L’instant où tu t’es détourné, lassé, aurait pu être celui de ton
salut. Tu n e sais jamais. Chaque geste peut déplacer une étoile.
Cette certitude que tout, aussi
minime en apparence et à chaque instant, puisse être relié à la face cachée du
monde, transforme radicalement la vie. Le brouillard de l’insignifiance est
levé. (page 45)
II. UNE QUALITÉ
FONDAMENTALE DE L’AMOUR: LE RÉALISME
Tentation
constante de ne pas aimer l'autre, mais une image qu'on s'est faite, un
idéal... Mais la première qualité de l'amour, c'est d'être réaliste,
c’est-à-dire d’aimer celui ou celle qui est là devant moi, et non une image que
je me fais de l’autre. Exemple de Rachel
qui lit un roman Arlequin racontant l'amour passionné d'un comte Henri de
Neuville et de la petite Lison. Elle marie un homme, appelé Henri, mais attend
de lui ce que le comte donnait à Lison! Quand on demande à quelqu'un ce qu'il ne
peut donner, cela nous empêche de recevoir ce qu'il peut offrir! Si un
homme demande à son épouse de lui donner ce que sa mère lui a donné, il risque
d'être déçu.
Dans
l'Évangile: jeudi-saint, Jésus dit: «Un de vous me trahira.» Pierre, tout de
suite: «Pas moi, Seigneur, jamais!» Jésus dit: «Pierre, je te connais: tu es
faible. Avant que le coq puisse chanter une fois, tu vas avoir eu le temps de
me trahir trois fois. Mais par la suite, on se rencontrera à nouveau, et on
continuera à marcher ensemble.» Amour réaliste de Jésus: ne se fait aucune
illusion sur Pierre, mais l'aime dans sa faiblesse. Amour réaliste du Christ
pour moi...
«L'amour sans vérité est illusion, la vérité
sans amour est condamnation.»
III. LES RISQUES DE
L’AMOUR
Aimer,
c’est dangereux, on court des risques quand on aime: risque d’être exploité, de
souffrir, d’être incompris, d’être déçu. Mais le plus grand risque, c’est de ne
pas aimer, car alors on passe à côté de la vie. L’être humain est fait pour
aimer et porte en lui la marque de Dieu, qui est Amour. Oui, ne pas aimer,
c’est passer à côté de la vie.
Exemple
de la grande-tante Rébecca. Elle et sa voisine Mme Hurtubise gagnent le premier
prix pour avoir tricoté une couverture de bébé. Rébecca donne la sienne à sa
petite fille qui en fait son doudou, couche avec tous les soirs, l’use à la
corde. Mme Hurtubise elle, garde la sienne jalousement, dans le fond de son
tiroir, mais découvre un jour qu’elle est rongée par les mites! Nous n’avons
pas le choix: notre vie s’use, rongée par la vieillesse et la maladie. Mais nous
avons un choix, un seul: comment ma vie s’use: pour moi tout seul, ou pour
donner de la chaleur, de la tendresse! «
En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra; mais qui perd sa vie à
cause de moi, la sauvera» (Luc 9:24)
Dieu
lui-même s’est risqué à aimer... et il en a souffert. Cf. Osée: «elle courait
après ses amants, et moi, elle m’oubliait» (Osée 2, 15). Le Christ en croix,
victime de son amour pour l’humanité.
IV. QU’EST-CE QU’IL YA
DANS UN CŒUR QUI AIME?
Qu’est-ce
qu’il y a dans un cœur qui aime? Que devons-nous avoir dans notre cœur pour
réussir nos amours? Nous le découvrirons à travers cinq objets symboliques.
1.
Le chèque en blanc, symbole de la confiance. Sans la confiance, l’amour est
impossible. La confiance, si précieuse, et si facilement brisée.
2.
Les papier-mouchoirs ou l’écharpe de soi, symbole de la souplesse. Il faut
beaucoup de souplesse dans une relation. Mettre de l’eau dans son vin, ne pas
dramatiser une situation, avoir de l’humour.
3.
La clé, symbole du partage. Le plus difficile à partager, c’est le temps. Si je
partage ma maison, mon chalet, l’autre ne part pas avec! Mais le temps que je
donne à l’autre est un don total: il ne reviendra jamais.
4.
Le téléphone: la communication, c’est la nourriture de base de l’amour.
5.
La gomme à effacer, symbole du pardon. Nous sommes des êtres humains et donc
faibles. Pardonner à l’autre d’être humain!
Inévitablement, on se fait mal, on déçoit l’autre. Sans pardon, aucun
amour ne peut survivre.
6.
La croix. Saint Jean a écrit: «Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, puisque
Dieu est amour.» «Dieu est amour: qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et
Dieu demeure en lui» (1 Jean 4, 8.16)
Celui qui aime est habité par Dieu. Et celui qui est habité par Dieu est
branché sur la source même de tout amour. De Dieu, nous apprenons l’art d’aimer
et recevons la force d’aimer.
Laissons Montfort nous guider pour contempler
la source de tout amour: le Christ dans sa passion:
Hélas! On le prend, on le lie,
On l’accable de mille coups,
On le cloue, on le crucifie,
Son Cœur est toujours aussi doux.
Son Père exauce sa prière,
Voilà qu’on perce son côté
Duquel il sort une rivière
D’eau, de sang et de charité.
Enfin, la fournaise est ouverte,
Enfin, ce grand Cœur est ouvert;
Enfin, la cause est découverte
Pourquoi Jésus a tant souffert.
En le perçant, on le soulage,
Car le feu dévorant ce Cœur,
La lance lui fait un passage
Pour se rendre au cœur du pécheur.
(cantique 41,
couplets. 1, 19, 28, 34-36)
Georges Madore
s.m.m.
10 août 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire