LXXX IL
REPOND SOLIDEMENT A TOUTES LES OBJECTIONS QU'ON LUI FAIT CONTRE SA CONDUITE
Je commençai,
dans l'entretien, par lui décharger mon cœur sur tout ce que j'avais à dire et
entendu dire contre sa conduite et ses manières. Je lui demandai quel était son
dessein et s'il espérait trouver jamais des gens qui voulussent le suivre dans
la vie qu'il menait ; qu'une vie si pauvre, si dure, si abandonné à la
Providence, était pour les Apôtres, pour des hommes d'une force, d'une grâce et
d'une vertu rares, pour des hommes extraordinaires, pour lui qui en avait
l'attrait et la grâce, mais non pas pour le commun, qui ne pouvait atteindre si
haut, et que ce serait témérité de le tenter ; que, s'il voulait s'associer,
dans ses desseins et dans ses travaux, d'autres ecclésiastiques, il devait, ou
rabattre de la rigueur de sa vie ou de la sublimité de ses pratiques de
perfection, pour condescendre à leur faiblesse et se conformer à leur genre de
vie ordinaire, ou les faire élever à la sienne par l'infusion de sa grâce et de
ses attraits si parfaits.
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Montfort et Blain - Livre 'En haute Mer' |
A quoi, pour
réponse, il me montra son Nouveau Testament et me demanda si je trouvais à
redire à ce que Jésus-Christ a pratiqué et enseigné et si j'avais à lui montrer
une vie plus semblable à la sienne et à celle de ses Apôtres, qu'une vie
pauvre, mortifiée et fondée sur l'abandon à la Providence ; qu'il n'avait point
d'autre vue que de la suivre et d'autre dessein que d'y persévérer ; que, si
Dieu voulait l'unir à quelques bons ecclésiastiques, dans ce genre de vie, il
en serait ravi, mais que c'était l'affaire de Dieu et non la sienne ; que, pour
ce qui le regardait, il n'avait point d'autre parti à prendre que celui de
l'Evangile, et marcher sur les traces de Jésus-Christ et de ses disciples :
"Que pouvez-vous dire contre, ajouta-t-il ; fais-je mal ? ;Ceux qui ne
veulent pas me suivre vont par une autre voie moins laborieuse et moins
épineuse ; et je l'approuve. Car, comme il y a plusieurs demeures dans la
maison du Père céleste, il y a aussi plusieurs voies pour aller à Lui. Je les
laisse marcher dans la leur ; laissez-moi marcher dans la mienne ; d'autant
plus que vous ne pouvez lui disputer ces avantages : qu'elle est celle que
Jésus-Christ a enseignée par son exemple et par ses conseils, qu'elle est, par
conséquent, la plus courte, la plus sûre et la plus parfaite pour aller à
Lui".
M'ayant ainsi
ferma la bouche sur ce point, il ne, tarda pas à me la fermer sur celui qui
suit. "Mais où trouverez-vous, lui dis-je, dans l'Evangile, des preuves et
des exemples de vos manières singulières et extraordinaires ; pourquoi n'y
renoncez-vous pas ? Ou ne demandez-vous pas à Dieu la grâce de vous en défaire?
Les rebuts, les contradictions, les persécutions vous suivent partout, parce
que vos singularités les attirent ; vous feriez beaucoup plus de bien et vous
trouveriez beaucoup plus d'aides et de secours dans vos travaux, si vous
pouviez gagner sur vous de ne rien faire d'extraordinaire et de ne point
fournir aux libertins et aux mondains, dans vos singularités, des armes contre
vous et contre le succès de votre ministère". Alors je lui nommai des
personnes d'une sagesse consommée : "Voilà, dis-je, des modèles de
conduite, sur lesquels vous devriez vous mouler ; ils ne font point parler
d'eux, et vous ne feriez point tant parler de vous, si vous les imitiez ".
Il me
répliqua que, s'il avait des manières singulières et extraordinaires, c'était
bien contre son intention ; que, les tenant de la nature, il ne s'en apercevait
pas, et qu'étant propres pour l'humilier, elles ne lui étaient pas inutiles ;
qu'au reste, il fallait s'expliquer sur ce que l'on appelle manières singulières
et extraordinaires ; que, si on entendait, par là, des actions de zèle, de
charité, de mortification et. d'autres pratiques de vertus héroïques et peu
communes, il s'estimerait heureux d'être, en ce sens, singulier, et que, si
cette sorte de singularité est un défaut, c'est le défaut de tous les saints ;
qu'après tout, on acquérait, à peu de frais, dans le monde, le titre de
singulier ; qu'on était sûr de cette dénomination, pour peu qu'on ne voulût pas
ressembler à la multitude, ni conformer sa vie sur son goût ; que c'était une
nécessité d'être singulier dans le monde, si on veut se séparer de la multitude
des réprouvés ; que le nombre des élus étant petit, il fallait renoncer à y
tenir place ou se singulariser avec eux, c'est-à-dire mener une vie fort
opposée et différente de celle de la multitude.
Il m'ajouta
qu'il y avait différentes espèces de sagesse, comme il y en avait
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Jean Baptiste Blain |
différents
degrés ; qu'autre était la sagesse d'une personne de communauté pour se
conduire, autre la sagesse d'un missionnaire et d'un homme apostolique; que la
première était rien à entreprendre de nouveau, rien qu'à se laisser conduire à
la règle et aux usages d'une maison sainte ; que les autres avaient à procurer
la gloire de Dieu, aux dépens de la leur, et à exécuter de nouveaux desseins ;
qu'il ne fallait donc pas s'étonner si les premiers demeuraient tranquilles, en
demeurant cachés, et s'ils ne faisaient point parler d'eux, n'ayant rien de
nouveau à entreprendre ; mais que, les seconds, ayant de continuels combats à livrer
au monde, au diable et aux vices, avaient à essuyer, de leur part, de terribles
persécutions ; et que c'est un signe qu'on ne fait pas grand peur à l'enfer,
quand on demeure ami du monde ; que les personnes que je lui proposais comme
des modèles de sagesse, étaient du premier génie, personnes qui demeuraient
cachés dans leurs maisons et qui les gouvernaient en paix, parce qu'elles
n'avaient rien de nouveau à établir, rien qu'à suivre les pas et les usages de
ceux qui les avaient précédés ; qu'il n'en était pas de même des missionnaires
et des hommes apostoliques ; qu'ayant toujours quelque chose de nouveau à
entreprendre, quelqu'œuvre sainte à établir ou à défendre, il était impossible
qu'ils ne fissent [pas] parler d'eux et qu'ils eussent les suffrages de tout le
monde ; qu'enfin, si on mettait la sagesse à ne rien faire de nouveau pour
Dieu, à ne rien entreprendre pour sa gloire, de peur de faire, parler, les
Apôtres eussent eu tort de sortir de Jérusalem ; ils auraient dû se renfermer
dans le Cénacle ; saint Paul n'aurait pas dû faire tant de voyages, ni saint
Pierre tenter d'arborer la croix sur le Capitole et de soumettre à Jésus-Christ
la ville reine du monde ; qu'avec cette sagesse, la Synagogue n'eût point remua
et n'eût point suscité de persécutions au petit troupeau du Sauveur, mais
qu'aussi ce petit troupeau n'eût point crû en nombre et que le monde serait
encore aujourd'hui ce qu'il était alors, idolâtre, perverti, corrompu en ses
mœurs et en ses maximes, au souverain degré.
Je lui dis
encore qu'on l'accusait de faire tout à sa tête ; qu'il valait bien mieux faire
moins de bien et le faire avec dépendance, consulter les supérieurs et ne rien
entreprendre sans leur ordre ou sans leur permission. Il convint de la maxime,
en ajoutant qu'il croyait la suivre, en tout ce qu'il pouvait, et qu'il serait
bien fâché de faire rien à sa tête ; mais qu'il y avait des occasions et des
rencontres imprévues et subites où il n'était pas possible de prendre les avis
ou les ordres des supérieurs ; qu'il suffisait, en ces cas, de ne vouloir rien
faire qu'on ne croie devoir leur plaire et mériter leur approbation, et être
disposé à leur obéir au moindre signe de leur volonté ; qu'au reste, il
arrivait que des œuvres, commencées avec le consentement des supérieurs,
n'avaient pas quelquefois, à la fin, leur agrément, soit parce qu'ils étaient
prévenus par des gens mal intentionnés et indisposés par de faux rapports, soit
qu'ils écoutaient les bruits du monde et le jugement de ses sages qui ne sont
presque jamais favorables aux œuvres saintes ; qu'alors il n'y /339/ avait
point d'autre parti que de se soumettre aux ordres de la Providence et
recevoir, de bon cœur, les croix et les persécutions, comme la couronne et la
récompense de ses bonnes intentions ; qu'enfin il était persuadé que
l'obéissance étant la marque certaine de la volonté de Dieu, il ne fallait
jamais s'en écarter ; mais que sa conscience ne lui faisait point de reproches
sur ce sujet et qu'il était, en tout temps et en toutes rencontres, dans la
disposition d'obéir et de ne rien faire qu'avec l'agrément des supérieurs ;
mais qu'il ne pouvait pas empêcher les faux rapports, les médisances, les
calomnies, les traits d'envie et de jalousie que l'homme ennemi savait bien
faire passer jusqu'à eux, pour les indisposer à son égard et mettre, en leur
esprit, sa personne et ses services au décri.
Je lui fis
plusieurs autres objections que je croyais sans réplique, mais il y satisfit
avec des paroles si justes, si concises et si animées de l'Esprit de Dieu, que
je demeurais étonné qu'il me fermât la bouche sur tout ce que je /340/ croyais
devoir la lui fermer.
° Moi aussi comme ton amis Blain, je suis
frappé par ton originalité, parce que...
° Tes austérités et tes pénitences
corporelles me créent des difficultés....
°Aujourd’hui, tu tires encore de ta besace
ton évangile et tu me dis...