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1 novembre 2011

Catéchèse à l'école de Marie (3)

Commentaire sur 'La Vraie Dévotion'  de Montfort (49 - 59)

Supposez que vous aimez quelqu’un et que vous lui offrez quelque chose de beau, mais que votre cadeau ne soit pas accepté, qu’en advient-il de votre don? Aux yeux du donateur, un triste souvenir, auprès de celui à qui il était destiné, le geste disparaît dans la poubelle de sa mémoire. Ce n’est vraiment que lorsqu’un cadeau est accepté qu’il obtient sa pleine valeur: quelque chose se passe alors entre le donateur et  le bénéficiaire, un lien s’établit ou se renforce.

Traverser le fossé

Il s’agit là d’un langage imagé mais il peut aider les gens à comprendre la manière d’agir de Dieu envers les hommes: il s’agit d’une proposition, bien plus, d’une alliance. Mais ce qui est spécial ici, c’est que les deux parties sont totalement différentes. Entre elles, il y a un fossé infranchissable: le premier est invisible et n’a ni pieds ni mains, l’autre est fait de chair et de sang. Comment peuvent-ils se donner la main, conclure une alliance et la réaliser? Seul un homme-Dieu serait en mesure de le faire. Et c’est ce qui est arrivé avec Jésus-Christ.  L’auteur de la lettre aux Hébreux met dans sa bouche cette prière pleine de signification: “Tu n’as voulu ni offrande ni sacrifice mais tu m’as façonné un corps. Tu ne demandais ni holocaustes ni victimes alors j’ai dit: 'Voici, je viens…' (Heb 10, 5-7). Ce même Jésus a ouvert, en franchissant le fossé, un chemin vers le Père. Une nouvelle et éternelle alliance est établie et sa mise en œuvre peut se poursuivre.

Venir sans cesse vers les hommes

Il est faux de penser qu’avec la mort et la résurrection de Jésus, l’œuvre est terminée, même si alors une orientation définitive lui est donnée. Le chemin vers un ciel nouveau et une terre nouvelle est alors ouvert, mais le chemin doit encore être parcouru. En vérité, pour le faire, personne ne peut compter sur ses propres forces. Montfort le répètera plus d’une fois, Jésus-Christ est et restera toujours le sauveur. Comment? De la même manière que la première fois, répond Montfort, à savoir en venant sans cesse vers les hommes. Réfléchissons avec lui.

“C’est par Marie que le salut du monde a commencé et c’est par Marie qu’il doit être consommé ” (VD 49), dit notre auteur. Peut-elle, du haut du ciel, contribuer ici sur terre à l’achèvement de l’œuvre commencée par Jésus? Souvenez-vous des paroles que Montfort a choisies pour expliquer la mission qu’elle a reçue de Dieu. “Demeure près des hommes, mes élus, mes amis.” Comme une bonne mère, tu dois prendre soin d’eux. Comme tu étais présente au Cénacle parmi les disciples en prière, jette, encore aujourd’hui, les racines de tes vertus dans les ‘amis de Dieu’. Ainsi, de nos jours, le fossé pourra être franchi et Jésus pourra encore et toujours s’incarner chez les hommes.

Inimitié et ‘bonne nouvelle’

“Comment voulez-vous que je me taise? ”, s’exclame Montfort ayant acquis une bonne compréhension de ce mystère. Depuis lors, il est devenu un missionnaire infatigable. Beaucoup sont ignorants, ne sont pas conscients de l’alliance que Dieu a conclue avec eux et n’accueillent pas l’offre que Dieu leur fait, c’est pourquoi Dieu ne peut pas agir efficacement dans le monde, conclut-il. Il faut donner à  Dieu toute la place, en commençant par soi-même.

Le mal n’est pas moins attirant que le bien, écrivit un jour saint Bède. En effet, si on s’y arrête, on constate qu’il existe souvent un combat entre le bien et le mal. Déjà le premier livre de la bible en parle. Montfort renvoie à ce passage de Genèse 3,15 où, après la chute, le Seigneur s’adresse au séducteur, le serpent: “Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon” (VD 51). Montfort note que la phrase fait allusion à une hostilité permanente, car il s’agit d’un combat entre le lignage de la femme et celui du tentateur, une inimitié irréconciliable, qui durera, voire augmentera jusqu’à la fin du monde.

Une grande inimitié est donc annoncée et en même temps, une victoire. C’est caractéristique dans la bible: une ‘bonne nouvelle’ est promise, une prophétie qui trouvera son accomplissement en Jésus Christ, le Sauveur. La discorde entre le serpent et la femme annoncée dans le premier livre de la bible, se trouve à nouveau dans le dernier livre, l’Apocalypse. Jean y décrit la lutte radicale entre la Femme et le Dragon. J’écris le mot Femme avec une majuscule, désignant aussi bien Marie que l’Église, le Dragon étant le Démon, l’adversaire. Entre la Genèse et l’Apocalypse se situe l’axe autour duquel tourne l’histoire de la chute et du rachat de l’homme par le Christ.

Le temps où nous vivons

Montfort se sert d’un style apocalyptique, caractérisé par un langage fort imagé et riche en symboles. Il décrit la lutte violente entre les amis du démon et les ‘amis de Dieu’. Marie entre en scène: “L’humble Marie aura toujours la victoire sur cet orgueilleux, et si grande qu’elle ira jusqu’à lui écraser la tête où réside son orgueil ; elle découvrira toujours sa malice de serpent ; elle éventera ses mines infernales, elle dissipera ses conseils diaboliques et garantira  jusqu’à la fin des temps ses fidèles serviteurs de sa patte cruelle...” (VD 54).

Le livre de l’Apocalypse est souvent compris comme l’annonce d’une catastrophe fatale, la fin du monde. C’est tout à fait faux. Jean donne aux croyants un encouragement très fort. C‘est un écrit de circonstance à un moment où les chrétiens, sous l’empereur Domitien, eurent à subir les pires persécutions et Jean affirme avec force: ce n’est pas la fin. Le Christ  nous aidera à traverser cette période difficile, il y aura sûrement des victimes, mais finalement le Christ vaincra.
Remarquez la double dimension du temps: aujourd’hui la période difficile et la lointaine perspective de la victoire finale. Dans l’extrait de la Vraie Dévotion que nous lisons ici, nous trouvons également cette double dimension. L’expression ‘les derniers temps’ se réfère simultanément à la période commencée avec la mort et la résurrection du Christ et à celle de l’instauration finale d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle, donc aussi bien le temps où nous vivons actuellement et celui qui doit encore arriver.

Dans ce temps-ci, Marie et sa descendance (les ‘amis de Dieu’) ont une tâche spécifique: “Dieu veut que sa sainte Mère soit à présent plus connue, plus aimée, plus honorée que jamais elle n’a été: ce qui arrivera sans doute si les prédestinés (‘les amis de Dieu’) entrent, avec la grâce et la lumière du Saint-Esprit, dans la pratique intérieure et parfaite que je leur découvrirai par la suite… Ils éprouveront ses douceurs et ses bontés maternelles… ils connaîtront les miséricordes dont elle est pleine … Ils sauront qu’elle est le moyen le plus assuré, le plus aisé, le plus court et le plus parfait pour aller à Jésus-Christ et ils se livreront à elle.” (VD 55).

Collés intimement à Dieu

Toujours dans un langage apocalyptique, Montfort décrit à quoi ressembleront ceux qui se donnent entièrement à Marie: ils seront des hommes nouveaux. Ils seront transformés tout comme les apôtres craintifs au Cénacle qui, d’hommes angoissés sont devenus de courageux annonciateurs. Notez les comparaisons fortes et parfois provocantes puisées dans la bible.

“Ils seront un feu brûlant : comme serviteurs du Seigneur, ils allumeront partout le feu de l’amour divin ; ils seront des flèches acérées dans la main puissante de Marie pour percer ses ennemis. Ils seront des fils  de Lévi, bien purifiés par le feu de grandes tribulations et ‘intimement collés’ à Dieu, qui porteront l’or de l’amour dans le cœur, l’encens de l’oraison dans l’esprit et la myrrhe de la mortification dans le corps… Ils seront partout la ‘bonne odeur’ de Jésus Christ pour les pauvres et les petits… des nuées tonnantes et volantes par les airs au moindre souffle du Saint-Esprit… Ils seront de véritables apôtres des derniers temps… en un mot, de vrais disciples de Jésus Christ...” (VD 56-59).

Juste pour des génies?

En raison de sa manière de parler, on pourrait croire que Montfort n’a plus les pieds sur terre. En fait, comme missionnaire itinérant, il s’adresse au peuple tel qu’il est, aux intellectuels aussi bien qu’aux petites gens dont il a réussi à s’attirer la confiance. Il a montré un chemin que lui-même a parcouru et les gens l’ont remarqué. À ses yeux, c’est une erreur de se contenter d’une vie médiocre et d’une religiosité superficielle.

En lien avec la sainteté, je cite ici Jean-Paul II qui, après les célébrations du Grand Jubilé, exprime son regard sur l’avenir: “Demander à un catéchumène : ‘Veux-tu recevoir le baptême ?’ signifie lui demander en même temps : ‘Veux-tu devenir saint ?’ Cela veut dire mettre sur sa route le caractère radical du discours sur la Montagne… Comme le Concile lui-même l’a expliqué, il ne faut pas se méprendre sur cet idéal de perfection, comme s’il supposait une sorte de vie extraordinaire que seuls quelques ‘génies’ de la sainteté pourraient pratiquer. Les voies de la sainteté sont multiples et adaptées à la vocation de chacun. Je remercie le Seigneur qui m’a permis de béatifier et canoniser ces dernières années de nombreux chrétiens et parmi eux beaucoup de laïcs qui se sont sanctifiés dans les conditions les plus ordinaires de la vie. Il est temps de proposer de nouveau à tous, avec conviction, ce haut degré de la vie chrétienne ordinaire…” (NMI 31). 

Pour cette vie quotidienne ordinaire, Montfort indique un chemin qui conduit à la sainteté, pas une sainteté qui nous fait garder la tête inclinée et les mains jointes; au contraire, il s’agit d’une manière de vivre en union avec Marie qui nous conduit à l’âge adulte, le cœur et les mains levés vers Dieu et vers les hommes. Il dira que c’est un chemin facile, court, parfait et assuré. Avant de l’expliquer, il nous montrera cinq piliers, des fondations sur lesquelles ce chemin s’appuie. Nous en parlerons la prochaine fois.

Frans Fabry

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