Commentaire sur 'La Vraie Dévotion' de Montfort (49 - 59)
Supposez que vous aimez quelqu’un et que vous lui
offrez quelque chose de beau, mais que votre cadeau ne soit pas accepté, qu’en advient-il
de votre don? Aux yeux du donateur, un triste souvenir, auprès de celui à qui
il était destiné, le geste disparaît dans la poubelle de sa mémoire. Ce n’est
vraiment que lorsqu’un cadeau est accepté qu’il obtient sa pleine valeur:
quelque chose se passe alors entre le donateur et le bénéficiaire, un lien s’établit ou se
renforce.
Traverser le fossé
Il
s’agit là d’un langage imagé mais il peut aider les gens à comprendre la manière
d’agir de Dieu envers les hommes: il s’agit d’une proposition, bien plus, d’une
alliance. Mais ce qui est spécial ici, c’est que les deux parties sont
totalement différentes. Entre elles, il y a un fossé infranchissable: le
premier est invisible et n’a ni pieds ni mains, l’autre est fait de chair et de
sang. Comment peuvent-ils se donner la main, conclure une alliance et la
réaliser? Seul un homme-Dieu serait en mesure de le faire. Et c’est ce qui est
arrivé avec Jésus-Christ. L’auteur de la
lettre aux Hébreux met dans sa bouche cette prière pleine de signification: “Tu
n’as voulu ni offrande ni sacrifice mais tu m’as façonné un corps. Tu ne
demandais ni holocaustes ni victimes alors j’ai dit: 'Voici, je viens…'” (Heb 10, 5-7). Ce même Jésus a ouvert,
en franchissant le fossé, un chemin vers le Père. Une nouvelle et éternelle
alliance est établie et sa mise en œuvre peut se poursuivre.
Venir sans cesse vers les hommes
Il
est faux de penser qu’avec la mort et la résurrection de Jésus, l’œuvre est
terminée, même si alors une orientation définitive lui est donnée. Le chemin
vers un ciel nouveau et une terre nouvelle est alors ouvert, mais le chemin
doit encore être parcouru. En vérité, pour le faire, personne ne peut compter
sur ses propres forces. Montfort le répètera plus d’une fois, Jésus-Christ est
et restera toujours le sauveur. Comment? De la même manière que la première
fois, répond Montfort, à savoir en venant sans cesse vers les hommes. Réfléchissons
avec lui.
“C’est
par Marie que le salut du monde a commencé et c’est par Marie qu’il doit être
consommé ” (VD 49), dit notre auteur. Peut-elle, du haut du ciel, contribuer
ici sur terre à l’achèvement de l’œuvre commencée par Jésus? Souvenez-vous des
paroles que Montfort a choisies pour expliquer la mission qu’elle a reçue de Dieu.
“Demeure près des hommes, mes élus, mes amis.” Comme une bonne mère, tu dois prendre soin d’eux. Comme tu étais
présente au Cénacle parmi les disciples en prière, jette, encore aujourd’hui, les
racines de tes vertus dans les ‘amis de Dieu’. Ainsi, de nos jours, le fossé
pourra être franchi et Jésus pourra encore et toujours s’incarner chez les
hommes.
Inimitié et
‘bonne nouvelle’
“Comment
voulez-vous que je me taise? ”, s’exclame Montfort ayant acquis une bonne
compréhension de ce mystère. Depuis lors, il est devenu un missionnaire
infatigable. Beaucoup sont ignorants, ne sont pas conscients de l’alliance que
Dieu a conclue avec eux et n’accueillent pas l’offre que Dieu leur fait, c’est
pourquoi Dieu ne peut pas agir efficacement dans le monde, conclut-il. Il faut
donner à Dieu toute la place, en
commençant par soi-même.
Le
mal n’est pas moins attirant que le bien, écrivit un jour saint Bède. En effet,
si on s’y arrête, on constate qu’il existe souvent un combat entre le bien et
le mal. Déjà le premier livre de la bible en parle. Montfort renvoie à ce
passage de Genèse 3,15 où, après la chute, le Seigneur s’adresse au séducteur,
le serpent: “Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage
et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon” (VD 51). Montfort
note que la phrase fait allusion à une hostilité permanente, car il s’agit d’un
combat entre le lignage de la femme et celui du tentateur, une inimitié
irréconciliable, qui durera, voire augmentera jusqu’à la fin du monde.
Une
grande inimitié est donc annoncée et en même temps, une victoire. C’est caractéristique
dans la bible: une ‘bonne nouvelle’ est promise, une prophétie qui trouvera son
accomplissement en Jésus Christ, le Sauveur. La discorde entre le serpent et la
femme annoncée dans le premier livre de la bible, se trouve à nouveau dans le
dernier livre, l’Apocalypse. Jean y décrit la lutte radicale entre la Femme et
le Dragon. J’écris le mot Femme avec une majuscule, désignant aussi bien Marie
que l’Église, le Dragon étant le Démon, l’adversaire. Entre la Genèse et
l’Apocalypse se situe l’axe autour duquel tourne l’histoire de la chute et du
rachat de l’homme par le Christ.
Le temps où nous vivons
Montfort
se sert d’un style apocalyptique, caractérisé par un langage fort imagé et
riche en symboles. Il décrit la lutte violente entre les amis du démon et les
‘amis de Dieu’. Marie entre en scène: “L’humble Marie aura toujours la victoire
sur cet orgueilleux, et si grande qu’elle ira jusqu’à lui écraser la tête où
réside son orgueil ; elle découvrira toujours sa malice de serpent ;
elle éventera ses mines infernales, elle dissipera ses conseils diaboliques et
garantira jusqu’à la fin des temps ses
fidèles serviteurs de sa patte cruelle...” (VD 54).
Le
livre de l’Apocalypse est souvent compris comme l’annonce d’une catastrophe
fatale, la fin du monde. C’est tout à fait faux. Jean donne aux croyants un
encouragement très fort. C‘est un écrit de circonstance à un moment où les
chrétiens, sous l’empereur Domitien, eurent à subir les pires persécutions et
Jean affirme avec force: ce n’est pas la fin. Le Christ nous aidera à traverser cette période
difficile, il y aura sûrement des victimes, mais finalement le Christ vaincra.
Remarquez
la double dimension du temps: aujourd’hui la période difficile et la lointaine
perspective de la victoire finale. Dans l’extrait de la Vraie Dévotion que nous
lisons ici, nous trouvons également cette double dimension. L’expression ‘les
derniers temps’ se réfère simultanément à la période commencée avec la mort et
la résurrection du Christ et à celle de l’instauration finale d’un ciel nouveau
et d’une terre nouvelle, donc aussi bien le temps où nous vivons actuellement
et celui qui doit encore arriver.
Dans
ce temps-ci, Marie et sa descendance (les ‘amis de Dieu’) ont une tâche spécifique:
“Dieu veut que sa sainte Mère soit à présent plus connue, plus aimée, plus
honorée que jamais elle n’a été: ce qui arrivera sans doute si les prédestinés
(‘les amis de Dieu’) entrent, avec la grâce et la lumière du Saint-Esprit, dans
la pratique intérieure et parfaite que je leur découvrirai par la suite… Ils
éprouveront ses douceurs et ses bontés maternelles… ils connaîtront les
miséricordes dont elle est pleine … Ils sauront qu’elle est le moyen le plus
assuré, le plus aisé, le plus court et le plus parfait pour aller à
Jésus-Christ et ils se livreront à elle.”
(VD 55).
Collés
intimement à Dieu
Toujours
dans un langage apocalyptique, Montfort décrit à quoi ressembleront ceux qui se
donnent entièrement à Marie: ils seront des hommes nouveaux. Ils seront
transformés tout comme les apôtres craintifs au Cénacle qui, d’hommes angoissés
sont devenus de courageux annonciateurs. Notez les comparaisons fortes et
parfois provocantes puisées dans la bible.
“Ils
seront un feu brûlant : comme serviteurs du Seigneur, ils allumeront
partout le feu de l’amour divin ; ils seront des flèches acérées dans la main
puissante de Marie pour percer ses ennemis. Ils seront des fils de Lévi, bien purifiés par le feu de grandes
tribulations et ‘intimement collés’ à Dieu, qui porteront l’or de l’amour dans
le cœur, l’encens de l’oraison dans l’esprit et la myrrhe de la mortification
dans le corps… Ils seront partout la ‘bonne odeur’ de Jésus Christ pour les
pauvres et les petits… des nuées tonnantes et volantes par les airs au moindre
souffle du Saint-Esprit… Ils seront de véritables apôtres des derniers temps… en
un mot, de vrais disciples de Jésus Christ...” (VD 56-59).
Juste
pour des génies?
En
raison de sa manière de parler, on pourrait croire que Montfort n’a plus les pieds
sur terre. En fait, comme missionnaire itinérant, il s’adresse au peuple tel
qu’il est, aux intellectuels aussi bien qu’aux petites gens dont il a réussi à
s’attirer la confiance. Il a montré un chemin que lui-même a parcouru et les
gens l’ont remarqué. À ses yeux, c’est une erreur de se contenter d’une vie
médiocre et d’une religiosité superficielle.
En
lien avec la sainteté, je cite ici Jean-Paul II qui, après les célébrations du
Grand Jubilé, exprime son regard sur l’avenir: “Demander à un
catéchumène : ‘Veux-tu recevoir le baptême ?’ signifie lui demander
en même temps : ‘Veux-tu devenir saint ?’ Cela veut dire mettre sur
sa route le caractère radical du discours sur la Montagne… Comme le Concile
lui-même l’a expliqué, il ne faut pas se méprendre sur cet idéal de perfection,
comme s’il supposait une sorte de vie extraordinaire que seuls quelques
‘génies’ de la sainteté pourraient pratiquer. Les voies de la sainteté sont
multiples et adaptées à la vocation de chacun. Je remercie le Seigneur qui m’a
permis de béatifier et canoniser ces dernières années de nombreux chrétiens et
parmi eux beaucoup de laïcs qui se
sont sanctifiés dans les conditions
les plus ordinaires de la vie. Il est temps de proposer de nouveau à tous, avec
conviction, ce haut degré de la vie chrétienne ordinaire…” (NMI 31).
Pour
cette vie quotidienne ordinaire, Montfort indique un chemin qui conduit à la
sainteté, pas une sainteté qui nous fait garder la tête inclinée et les mains
jointes; au contraire, il s’agit d’une manière de vivre en union avec Marie qui
nous conduit à l’âge adulte, le cœur et les mains levés vers Dieu et vers les
hommes. Il dira que c’est un chemin facile, court, parfait et assuré. Avant de
l’expliquer, il nous montrera cinq piliers, des fondations sur lesquelles ce
chemin s’appuie. Nous en parlerons la prochaine fois.
Frans
Fabry
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